Au sujet des plus grands domaines viticoles, il est coutume de dire qu’ils sont historiques. Avec le domaine Georges Vernay, rien n’est plus vrai : sans l’engagement de Georges Vernay, qui nous a quittés en 2017, le vignoble de Condrieu aurait très certainement disparu face aux plantations très rémunératrices à l'époque d'abricotiers et autres arbres fruitiers. Lorsqu’il se lance en 1953, il ne reste que 5 ou 6 hectares de vignes dans la zone d’appellation.
Heureux héritier de quelques vieilles vignes de viognier plantées par son père Francis sur le coteau de Vernon, berceau historique du célèbre cépage rhodanien, Georges Vernay ne peut se résoudre à cette disparition programmée et décide dès la fin des années 1950 de réinvestir ces pentes escarpées, suivi ensuite par d’autres viticulteurs engagés. Un travail de titan qui lui valut d’être considéré comme le « Pape de Condrieu ». En 1986, on compte 20 hectares plantés, 60 hectares en 1990, et désormais, plus de 120 hectares.
En 1996, le Domaine connaît une nouvelle étape dans son installation durable au sommet des plus grands domaines du Rhône avec l’arrivée de Christine Vernay, fille de Georges. Seule fille d’une fratrie de trois, rien pourtant ne la destinait à reprendre le flambeau. Un temps, elle avait imaginé sa vie autrement, en toute liberté, allant vers des études littéraires, de français et d’italien, avant d’entamer une carrière d’enseignante et de fonder sa famille à Paris. Bien sûr, elle revenait régulièrement et avec beaucoup de plaisir dans la maison familiale, au pied de l’imposant Coteau de Vernon où la vigne est présente depuis l’époque romaine. Mais ce n’est que lorsque ses parents lui font part de leur intention de prendre leur retraite qu’elle « a senti subitement ses racines pousser », comme elle nous le dit joliment. L’appel de la vigne et du terroir la décide à changer de vie : elle revient s’installer avec son mari et ses jeunes enfants pour embrasser cette histoire vigneronne et ces coteaux qui la fascinent depuis son enfance.
Disposant d’un formidable patrimoine viticole, sur ces vertigineux terroirs granitiques, qui surplombent le fleuve, Christine va se consacrer à l’élaboration de grands vins de lieu, des blancs complexes et identitaires, exprimant avec finesse et poésie la singularité des terroirs de Condrieu, leur âme. L’objectif familial ne varie pas : ici, on compte bien transcender l’expression variétale, souvent exubérante, du viognier pour donner naissance à des vins habités par la puissance d’évocation des sols et du terroir. Comme elle le dit elle-même, si la « notion de terroir est aujourd’hui très à la mode, moi, j’ai grandi avec, mon père avait vraiment cette conviction chevillée au corps ».
Au fil des années, Christine Vernay, avec le soutien indéfectible de son mari, Paul Amsellem, a défini son propre style, basé sur une association parfaite entre la maturité optimale d'un fruit parfaitement intègre et plein de vie, et l'expression minérale de ce socle de granit à biotites qui fait l’identité des grands vins de Condrieu. Un style où la recherche d’harmonie et de finesse domine. Son amour inconditionnel de la terre et du vivant la poussera à adopter, dès son arrivée au Domaine, les principes d’une culture biologique, une pratique qui fait d’elle une pionnière de l’appellation. Depuis quelques années, elle généralise, sous l’impulsion de sa fille Emma revenue travailler à ses côtés fin 2020, l'adoption de pratiques culturales bio-dynamiques, avec cette volonté inébranlable de transmettre aux générations futures un patrimoine vivant.
Honorée par ses pairs, Christine Vernay règne aujourd’hui, avec rigueur et discrétion, au firmament de cette appellation. Après une année 2021 éprouvante à la vigne et très atypique sur le plan climatique, entre gel tardif, printemps et début d’été très humide, et maturités tardives, 2022 renoue avec le profil des années solaires et sèches qui sont devenues la norme dans les vignobles de la vallée du Rhône.
L’hiver, assez froid, fut marqué par un déficit pluviométrique, comme en témoigne déjà en mars la couleur rougeâtre des sedums, ces petites plantes grasses de rocaille qui courent le long des chaillées des coteaux de Condrieu. Heureusement, en avril, la pluie arrive enfin, alors que la vigne s’éveille. Puis, très vite, c’est bien la chaleur qui marque les esprits, avec des températures qui avoisinent et dépassent 30° dès le mois de mai. La floraison, rapide et régulière, se passe bien : Christine et Emma comprennent rapidement que le millésime devrait être précoce, sur les traces de 2020. La sortie de grappe est très prometteuse, laissant espérer de beaux rendements. Malheureusement, la sécheresse persistante de l’été amènera à réviser à la baisse les prévisions trop optimistes. Les raisins restent petits, les peaux s’épaississent sous l’action des rayons du soleil.
Cette année encore, la qualité du travail en vert, menée avec énergie et précision par Emma et ses équipes, se révèle déterminante : limiter l’évaporation dans les sols par une habile gestion des couverts végétaux, jouer sur l’ombre portée des feuillages (les « casquettes » comme on les appelle ici) pour éviter l’échaudage des baies, sélectionner les plus belles grappes pour ne pas risquer d’épuiser les ressources de la vigne, appliquer des préparations bio-dynamiques sur le feuillage, afin d’apaiser la plante des brûlures d’un soleil estival particulièrement chaud… tout est mis en œuvre pour que les raisins mûrissent dans les meilleurs conditions. En outre, une bonne pluie est venue arroser le vignoble à la mi-août, permettant d’affiner les peaux des fruits et de regagner en jus.
Au final, Emma et Christine ont démarré les vendanges des viogniers dans les tout derniers jours du mois d’août. Les rendements étaient satisfaisants (surtout quand on les compare avec l’année précédente !), l’état sanitaire impeccable et les équilibres superbes. Une nouvelle preuve de la force des grands terroirs qui savent parfaitement résister aux conditions même extrêmes du millésime pour donner leur meilleur et transmettre leur message.
Après des élevages ciselés, offrant la maîtrise et la finesse d’exécution d’un orfèvre, Christine se réjouit de trouver des blancs « tout en floralité et en finesse, des vins plus poudrés que solaires, qu’une trame épicée étire considérablement, des vins charnels mais très frais et élégants ». Nous approuvons sans réserve. Les Terrasses de l’Empire se dévoilent dans un registre à la fois floral et pulpeux, toujours sensuel, gorgé d’un fruit expressif plein de sucs et de parfums. Tandis que le Condrieu Les Chaillées de l’Enfer nous éclaboussent de sa grâce verticale, de sa dimension florale aérienne et raffinée, de l’éclat d’un fruit mûr et expressif traversé d’un puissant courant épicé. Deux superbes cuvées, lumineuses et habitées, qui vous régaleront en attendant leur « grand frère », le mythique Coteau de Vernon que Christine et Emma ont décidé de laisser se reposer une année supplémentaire dans leur cave avant de vous le présenter, en 2025.
Pour conclure, nous reprendrons quelques mots livrés par Christine Vernay dans une récente interview : « J’essaie de garder cette fraîcheur et cette harmonie que je recherche, par ailleurs, dans mes vins, comme cette vibration. Vibrer, c’est vivre. C’est l’écoute du monde, de l’autre. ». Un beau programme…
Voluptueux, aérien et vertical, il déploie son exquise floralité, empreinte de la fraîcheur d’une matinée printanière en Provence, entre bougainvilliers, glycine, amandier ou oranger en fleur. Les fruits gorgés de suc et d’énergie sont traversés d’un intense courant épicé, mêlant gingembre, poivre blanc, safran ou cardamome. D’une classe incroyable.
Sensuel et caressant, il affiche un profil chatoyant et poudré. Il nous plonge avec délice entre jardin fleuri, panier de fruits et marché aux épices. Rose, jasmin, acacia et fleur d’oranger, coulis d’abricot, pêche jaune, confiture de mirabelle, mangue ou clémentine rôtie, curcuma, noix de muscade, curry Madras : une invitation au voyage.